Actualité Culture

Théâtre: "10 millions", pièce en forme de catharsis pour une génération de Cubains

Publié le 06/05/2016 à 17:27 | AFP


Cuba, années 1970: un jeune garçon vit une adolescence brutalisée par la société castriste et les tiraillements familiaux. Avec "10 millions", Carlos Celdran propose une pièce autobiographique sans concessions qui remonte le fil de décennies souvent douloureuses pour les Cubains.
Au sujet de ce texte qui dévoile sans fard son enfance, l'auteur cubain de 52 ans avoue à l'AFP qu'il "s'est imposé" à lui, "comme une nécessité".
Signe des temps qui évoluent, ce drame corrosif jamais publié a pu se monter sans aucune censure du ministère de la Culture, propriétaire du théâtre Argos de La Havane.
Sous la direction de Celdran, Argos propose depuis 20 ans un théâtre exigeant et parfois controversé, à l'image des théâtres El Publico, El Ciervo Encantado, ou du Teatro de la Luna, autres tenants d'une scène havanaise audacieuse, pourtant subventionnée à 100%.
Depuis les années 1990, "le théâtre cubain a changé en même temps que la société cubaine, qui s'est ouverte à des thèmes et des visions plus polémiques et complexes", se félicite le metteur en scène, honoré par le très officiel Prix national de théâtre 2016.
Dans sa première oeuvre, Carlos Celdran épluche crûment les traumatismes contemporains de l'île: affres des laissés-pour-compte et des parvenus de la révolution, rejet de l'homosexualité, traumatismes de l'exode de Mariel, désillusions politiques.


Les acteurs cubains Daniel Romero (g) et Maridelmis Marin répètent la pièce "10 millions", au théâtre Argos à La Havane le 30 avril 2016 © ADALBERTO ROQUE AFP
Aucun nom n'est mentionné, tout y est sobrement décrit, sans revendication ni réquisitoire, avec l'émotion et le point de vue de l'humain comme points focaux.
Car pour Carlos Celdran, l'histoire doit toujours se voir comme "une étude du comportement humain le plus dépouillé possible de vices, de masques, d'emphase théâtrale".
- Adolescence meurtrie -
L'auteur explique pudiquement avoir "dû garder (ce texte) secret pour beaucoup de raisons personnelles" pendant plus de 10 ans avant de trouver le cran de "le sortir à la lumière".
Dans sa pièce, l'émouvant Daniel Romero, 26 ans campe "Lui", jeune garçon balloté entre son père, petit bourgeois déchu par la révolution castriste de 1959, et sa mère, cadre du parti dévouée corps et âme à la campagne des "10 millions".
En 1970, l'Etat avait mobilisé la population pour tenter, sans succès, de produire 10 millions de tonnes de sucre.
Aux tourments familiaux s'ajoutent d'autres ennuis pour ce garçon fragile et introverti, que sa mère - jouée par Maridelmis Marin - va rejeter puis livrer aux humiliations des pensions de la révolution.
"Lui" trouvera refuge dans la lecture et de premiers émois amoureux.


Les acteurs de la pièce "10 millions" posent au théâtre Argos à La Havane le 30 avril 2016 © ADALBERTO ROQUE AFP
Son enfance prend brutalement fin au virage des années 1980: son père rejoint les milliers de candidats à l'exil qui envahissent l'ambassade du Pérou à La Havane. Fidel Castro finit par ouvrir le port de Mariel, à l'ouest de la capitale, à 125.000 Cubains qui embarquent sous les huées - et parfois les coups - des militants du parti unique.
Pendant la crise, "Lui", contraint d'aller conspuer les "traîtres" devant les grilles de la représentation péruvienne, tente vainement d'apercevoir une dernière fois ce père tant aimé.
- Le public 'écorché' -
Après cet épisode, il ne le reverra plus pendant 30 ans. Ironie suprême, sa mère oubliera ses convictions pour s'exiler elle aussi quelques années plus tard, laissant le jeune homme seul face à son destin.
Caleb Casas, talentueux protégé de Carlos Celdran qui interprète le père de "Lui", affirme à l'AFP qu'il "n'a jamais vu le public réagir comme il le fait avec cette oeuvre". "Chaque thème, chaque mot écorche le public."
Car tous les Cubains ont vécu - directement ou par procuration - les épisodes relatés dans cette pièce. Chaque soir, de discrets sanglots troublent l'atmosphère intime de l'Argos, salle d'à peine 100 places située à quelques encablures de la Place de la révolution.
"Pour moi c'est un exorcisme (...) Je me libère de nombreux démons, chaque soir c'est un nouveau démon que je gardais en moi qui se libère", confie Waldo Franco, 57 ans, qui interprète le narrateur adulte.
Malgré les obstacles, l'auteur assure n'avoir jamais pensé à quitter son pays. "A plusieurs moments de crise dans le pays j'ai eu la tentation de partir un moment, mais ce serait laisser mon oeuvre ici tronquée."
S'il ne se voit pas écrire à nouveau dans l'immédiat, Carlos Celdran entend bien avec Argos continuer à "repousser les limites de cette possibilité de parler de notre vérité".
06/05/2016 17:26:28 - La Havane (AFP) - © 2016 AFP

 

 

 

Regresar a 10 Millones

Portada

Regresar a 10 Millones

Portada